Le 14 avril 2021, Eric Dupont-Moretti, Ministre de la Justice, présentait en Conseil des Ministres son projet de loi “pour la confiance dans l’institution judiciaire”.
L’une des propositions les plus marquantes du texte est la possibilité de filmer et de diffuser des procès.
Quelle est la position actuelle de la justice face à l’enregistrement des procès ?
Aujourd’hui, les procès filmés sont très rares. Ils le sont lorsque les circonstances historiques l’exigent ou lorsque des autorisations sont données à certains journalistes ou réalisateurs. La loi Badinter de 1985 a autorisé les enregistrements des procédures revêtant une dimension historique.
Nous pouvons citer les procès de Klaus Barbie, de Paul Touvier, de Maurice Papon, celui du sang contaminé, de l’explosion d’AZF et ceux des attentats du 13 novembre 2015.
Ces enregistrements conservés par les Archives nationales sont consultables uniquement par les chercheurs et les personnes autorisées.
Souhaitant rétablir la confiance du citoyen envers la justice, le garde des sceaux, persuadé que les français méconnaissent le fonctionnement des institutions judiciaires, souhaite que toutes les audiences puissent être filmées et retransmises dans un objectif pédagogique.
Comment diffuser les procès filmés ?
La réforme portée par Eric Dupont Moretti instaure la possibilité de filmer toutes audiences, dès lors qu’un motif d’intérêt public le justifie.
Il ne s’agit pas de diffuser le procès en direct mais de le diffuser lorsque l’affaire est définitivement jugée et uniquement avec l’accord des parties.
Aujourd’hui, le détail de cette mesure n’est pas encore arrêté. Les procès seront-ils diffusés à la télévision, sous forme de documentaire, sur un canal dédié ? Les discussions sont en cours entre le ministère et les chaînes de télévision.
Les questions soulevées par la réforme
Cette mesure n’est pas sans soulever des questions importantes.
Premièrement, que devient le droit à l’oubli lorsque les procès sont filmés et peuvent être diffusés et rediffusés ? N’est-ce-pas revenir également sur la possibilité offerte à chacun de se réinsérer et de tirer un trait sur son passé judiciaire ?
Par ailleurs, si le principe est la volonté de chacune des parties pour être filmée, comment imaginer un accusé accepter que son procès soit diffusé une fois l’affaire clôturée, voire dix ans plus tard ?
Comment imaginer qu’une victime accepte que les moments les plus difficiles de la procédure soient diffusés encore et encore alors qu’elle a séché ses larmes et entamé un processus d’acceptation de cette période douloureuse de sa vie ?
Il semble que cette volonté qui est essentielle bien entendu, pose des difficultés de mise en œuvre, ce qui reviendra peut-être à vider la proposition de sa substance et finalement n’obtenir la diffusion que de procédures relatives à des conflits de voisinage … Non que ces procédures ne soient intéressantes mais l’aspect pédagogique sera alors moins évident.
Autre question, comment se fera le choix des audiences enregistrées ? Qui tranchera ? Qui décidera que tel procès devra être filmé et non tel autre ?
En outre, comment faire pour que cette mesure échappe au risque de voyeurisme, qui sera là bien éloigné du but pédagogique souhaité par le ministre. Il ne faut pas oublier que le temps de la justice et des débats d’une salle d’audience est très différent du temps médiatique, fragmenté, calibré pour retenir l’attention des spectateurs.
Autre faille possible : il est possible que l’introduction de la caméra modifie le comportement des intervenants (avocats, magistrats, clients) provoquant une starisation de certains sans oublier que les montages, techniques télévisuelles qui ne manqueront pas d’être utilisés, peuvent faire mentir des images, des séquences entières.
Il existe là un vrai risque de tomber dans une justice de télé-réalité dans laquelle chacun deviendra juge derrière son écran.