Le gouvernement a annoncé mercredi 15 mai 2024 une décision inédite : l’interdiction du réseau social TikTok en Nouvelle-Calédonie. Cette mesure, justifiée par la proclamation de l’état d’urgence, vise à limiter les contacts entre émeutiers dans un contexte de violences récurrentes depuis trois nuits. TikTok, appartenant à la société chinoise ByteDance, est perçu comme un canal de communication privilégié pour les groupes violents, selon le gouvernement.
Rappel des faits
Depuis le lundi 13 mai, l’archipel est en proie à des troubles importants suite à un projet de réforme constitutionnelle visant à élargir le droit de vote aux élections provinciales à tous les résidents ayant vécu sur le territoire pendant au moins 10 ans. Cette réforme, adoptée par les députés dans la nuit de mardi à mercredi, a suscité la colère des indépendantistes issus de la communauté autochtone Kanak. Depuis, des émeutes violentes émaillent l’ensemble de l’île, poussant le gouvernement français à agir. C’est ainsi que le réseau social Tik-Tok a été interdit sur l’île dans le cadre de la loi d’état d’urgence.
Les autorités invoquent, outre que le réseau social serait un outil pour organiser la violence, des préoccupations concernant les ingérences étrangères, notamment venant de la Chine et de l’Azerbaïdjan. Ces pays chercheraient à exacerber les tensions en Nouvelle-Calédonie.
TikTok a exprimé ses regrets quant à cette décision unilatérale, déplorant l’absence de discussions ou de demandes de retrait de contenu de la part des autorités locales ou du gouvernement français. La plateforme assure que ses équipes de sécurité surveillent la situation de près et se disent prêtes à engager des discussions avec les autorités.
Les fondements légaux et les implications juridiques
L’état d’urgence, proclamé en Nouvelle-Calédonie, confère au gouvernement des pouvoirs exceptionnels pour rétablir l’ordre public. En vertu de la loi du 3 avril 1955, le ministre de l’Intérieur peut notamment restreindre certaines libertés publiques, telles que la liberté de réunion, de circulation, et de communication. C’est sur ce texte que le gouvernement a fait interdire le réseau social. Toutefois, la légalité de cette interdiction suscite des débats. Le juriste Nicolas Hervieu, de Sciences-Po et de l’université d’Évry, qualifie cette décision de “sans précédent” et la considère juridiquement “discutable”, bien qu’elle soit liée à l’état d’urgence. En tant que mesure exceptionnelle, celle-ci se doit d’être proportionnée et justifiée par une nécessité particulière comme le rappelle les avocats spécialisés en droit des médias interrogés à ce propos. Elle pourrait faire l’objet de recours et la mesure pourrait être annulée, entraînant des conséquences lourdes pour l’État avec notamment une obligation de réparation pour les préjudices causés.
Les politiques eux-mêmes sont partagés sur ce dispositif. Le député Eric Bothorel du groupe Renaissance a exprimé ses réserves, craignant que le blocage de TikTok n’alimente un discours liberticide contre l’État.
Précisons que l’aspect technique de cette interdiction repose sur le blocage du système de nom de domaine (DNS), permettant de convertir un nom de site web en une adresse IP numérique. Ce blocage rend les requêtes vers TikTok sans réponse. A noter que les experts en cybersécurité précisent que cette méthode est techniquement faisable à ce niveau d’opérateur unique, mais qu’elle pourrait être facilement contournée par l’utilisation de réseaux privés virtuels (VPN) ou de services de masquage de localisation. De plus, des alternatives à TikTok, telles que Snapchat ou les messageries Telegram et Signal, restent disponibles. Ainsi, le blocage présente des limites et peut être contourné. Se pose alors la question de son véritable intérêt.