Le 29 février 2020, Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, alors que la France n’était pas encore confinée et l’économie à l’arrêt, expliquait que le coronavirus était un cas de force majeure pour les entreprises, notamment dans les marchés publics de l’État. Ainsi, il justifiait l’inapplication des pénalités en cas de retard d’exécution des prestations contractuelles.
Pour autant, Bruno Le Maire ne fait pas le droit. Les prestations prévues dans les contrats commerciaux peuvent-elles être suspendues ou prorogées du fait de la crise sanitaire et de l’irruption du Covid-19 dans nos existences et celles de nos entreprises ?
Petit rappel : qu’est-ce-que la force majeure ?
Selon l’article 1218 du Code Civil issu de la réforme du droit des contrats de 2016, “il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur”.
Auparavant, la force majeure était constituée uniquement lorsque les trois éléments suivants étaient réunis : l’imprévisibilité, l’irrésistibilité et l’extériorité.
Le texte nouveau reprend ces conditions mais semble moins exigeante. C’est au juge, en cas de litige, que revient la charge de caractériser l’événement.
Attention ! Si la loi prévoit une définition de la force majeure, les parties au contrat ont tout loisir pour l’aménager. Ainsi, chaque contrat devra être ressorti du placard pour l’analyse de ses clauses d’exécution.
Par ailleurs, l’article 1351 du Code Civil prévoit que : “l’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est définitive, à moins qu’il n’ait convenu de s’en charger ou qu’il ait été préalablement mis en demeure”. Il est donc possible que certains contrats contiennent des clauses d’exécution de la prestation même en présence de cas de force majeure.
Une attention importante sera donc à apporter à l’analyse des contrats en cours, tout comme à la rédaction des contrats prochains, une crise comme celle du coronavirus étant sans précédent mais probablement pas sans suite …
Le coronavirus peut-il être considéré comme un cas de force majeure ?
Si le critère de l’extériorité ne pose pas de difficultés, ceux de l’imprévisibilité et de l’irrésistibilité sont plus complexes.
Irrésistibilité : les mesures mises en place par les entreprises sont-elles de nature à éviter les effets du virus et donc à retenir la force majeure ? Par ailleurs, sachant que le virus n’a pas d’effets dévastateurs sur toutes les personnes malades, on peut, de fait, penser que le caractère irrésistible ne puisse être retenu de façon systématique.
Imprévisibilité : il convient de se placer à la date de signature du contrat. A ce moment-là, les parties pouvaient-elles ignorer la possible survenance de l’évènement ?
L’imprévision suppose la réunion de plusieurs conditions : des circonstances imprévisibles au moment de la conclusion du contrat et une exécution des obligations, non pas forcément impossible, mais fortement compromise.
En outre, si la crise sanitaire est inédite, les épidémies ne viennent pas d’émerger et la jurisprudence s’est plusieurs fois prononcée en présence de situation médicale à risque, dans un sens contraire à la reconnaissance de la force majeure.
Ainsi, la Cour d’appel de Paris a écarté en 2016 la qualification de force majeure invoquée pour cause d’épidémie au moment du virus Ebola, celui-ci n’ayant pas rendu impossible l’exécution des obligations (Cour d’appel de Paris, Pôle 1, Chambre 3, Arrêt du 29 mars 2016). Encore la Cour d’appel de Nancy en 2010 selon laquelle l’épidémie de Dengue était récurrente et de ce fait prévisible (Cour d’appel de Nancy, 1ère Chambre civile, Arrêt du 22 novembre 2010).
Il y a fort à parier que la justice sera saisie dans les prochains mois de nombreux dossiers en ce sens … seule une appréciation spécifique pourra valablement dire si le cas de force majeure peut-être retenu et ainsi justifier une suspension de l’exécution des clauses d’un contrat.