Le 20 décembre 2019, France Télécom et trois de ses anciens dirigeants – l’ex PDG, l’ex numéro 2 et l’ex DRH – étaient déclarés coupables de “harcèlement moral institutionnel”.
Ils ont été condamnés chacun à un an de prison dont huit avec sursis, ainsi que 15 000 euros d’amende.
Décision inédite puisque c’est la première en France qu’est reconnue par un tribunal cette notion de harcèlement institutionnel.
Affaire France Télécom : les faits
Rappelons-nous. En 2007-2008, France Télécom était alors en pleine opération de restructuration de ses services. Les programmes « NExT » et « Act » devaient transformer l’entreprise en trois ans et ne se cachaient pas d’aller vers une réduction des effectifs avec une volonté de 22 000 départs et 10 000 mobilités.
Ces plans de “dégraissage” ne se firent pas sans heurt puisque lors de ces 24 mois, plusieurs salariés de l’entreprise mirent fin à leur jour. Certains de façon très violente dans les locaux même de France Télécom.
Citons pour exemple le cas d’un technicien marseillais qui, en juillet 2009, se suicidait et laissait une lettre faisant état d’un “management par la terreur”. Il déclarait “je me suicide à cause de France Télécom. C’est la seule cause”
Quelques semaines plus tard, une première plainte était déposée par le syndicat SUD, suivie de biens d’autres, complétées par un rapport de l’inspection du travail, accablant pour le management de l’entreprise.
Affaire France-Télécom : le procès
C’est le tribunal correctionnel de Paris qui a eu à juger les faits reprochés à France Télécom. La procédure a été longue (4 ans d’instruction) et ce sont 3 mois d’audition qui se sont tenus entre le 6 mai et le 11 juillet 2019.
Le tribunal a examiné la situation de trente-neuf salariés. Dix-neuf d’entre eux se sont suicidés, douze ont fait une tentative de suicide et huit ont subi dépression et/ou arrêts de travail.
Selon les témoignages, les méthodes de France Télécom pour atteindre leurs objectifs de réduction de personnel n’étaient pas légales : mutations forcées, baisses de rémunération, emails incitant aux départs volontaires… Tout a été fait pour pousser les salariés dans leurs derniers retranchements et les faire craquer, les pousser vers un départ anticipé.
Le tribunal est allé dans ce sens, reconnaissant les prévenus à l’origine d’un “plan concerté pour dégrader les conditions de travail des agents afin d’accélérer leurs départs”.
En revanche, le délit d’homicide involontaire a été écarté par les juges considérant que le lien de causalité entre la mort par suicide de plusieurs salariés et les dirigeants poursuivis était “difficile à démontrer, le suicide étant analysé comme un fait multifactoriel”.
Bien entendu, les condamnés ont fait appel de ce jugement, dénonçant par la voix de leurs avocats “une faute de droit complète, une analyse politique et de politique démagogique”.
Pour autant, même si celui-ci est réformé – les observateurs de l’affaire estiment de leur côté que la Cour d’Appel devrait suivre ce jugement, particulièrement argumenté et documenté – il restera comme le premier cas d’une condamnation pour harcèlement moral institutionnel et devrait être observé de très près par les entreprises, les dissuadant – c’est à espérer – d’utiliser des méthodes expéditives et humiliantes pour réduire leurs effectifs.
Quant aux victimes et à leurs familles, elles ont été entendues et reconnues. Et ceci restera définitivement acquis.